Langage et communication dans le syndrome d’Angelman

Jamais on n’a parlé autant de langage et communication dans le monde du handicap, et principalement dans le syndrome d’Angelman. Tous les jours me parviennent des documentations, lectures à faire, recherches ou conseils au sujet de la CAA.

Mais qu’en est-il vraiment des progrès espérés dans ce domaine pour nos enfants ?

En ce qui concerne les moyens numériques, les progrès sont indéniables. Les logiciels de communication se sont multipliés, améliorés et même le coût de certains les rend maintenant accessible à tous, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.

Il y a des formations, pas toujours accessibles à tous les parents et tous les professionnels il est vrai : finances, déplacement, temps à y consacrer. Et il y a encore à faire en ce qui concerne l’accessibilité pour les parents, éducateurs, professionnels : une simplification des systèmes doit être un objectif des éditeurs de logiciels. Cela prend beaucoup de temps et d’énergie pour mettre en place les outils et les personnaliser et les parents ont tellement d’autres choses à gérer avec leur enfant ! Et puis, nos enfants changent et la personnalisation doit être refaite continuellement. Rien n’est jamais définitif.

Malgré tout, certains parents et professionnels sont devenus de vrais pros dans ce domaine, faisant preuve de savoir-faire et d’inventivité. Et les outils intéressants et adaptables qu’ils partagent sont précieux.

On peut saluer également un nouveau consensus concernant la multimodalité de la communication chez la personne handicapée mentale. Finies les querelles de chapelles : il n’y a pas un code unique et meilleur que les autres. Aucun n’a vraiment prouvé qu’il convenait plus que les autres à une personne atteinte du syndrome d’Angelman. C’est l’expérience qui, menée à long terme, a permis d’en arriver à cette conclusion. Et surtout, ce sont nos enfants qui ont été nos formateurs dans ce domaine car ils ont aussi leur « mot » à dire sur ce sujet.

Alors, pourquoi ai-je l’impression qu’on piétine, que nos enfants (je parle en général) ne communiquent pas davantage, que les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes ?

Première constatation : les preuves tangibles d’une appropriation, d’une utilisation réelle et spontanée des outils par l’enfant font défaut et cet état de fait conforte en moi la sensation d’échec (relatif) par rapport à toute l’énergie mise en œuvre pour créer des outils. D’un côté de la balance, des kilos de moyens, codes, livres, articles … Et de l’autre ???

 

 

Parler n’est pas communiquer et toute parole n’est pas de la communication. Certaines personnes atteintes d’une déficience intellectuelle parlent sans cesse ou sont dans la logorrhée et soliloquent, répétant parfois toujours les mêmes choses. La communication, elle,

nécessite une interaction entre deux personnes qui délivrent un message à l’aide d’un code connu des deux et partagé.

Les obstacles sont donc nombreux qui empêchent la communication de s’établir.

Un des principaux obstacles à la communication est l’incompréhension. Les deux interlocuteurs doivent se comprendre. Que comprend mon enfant non parlant quand je lui parle ? Pourquoi réagit-il à certains propos et non à d’autres ? A certaines sollicitations et non à d’autres ? Et moi-même suis-je assez attentive et experte pour décrypter ce qu’il veut exprimer ? Il est une personne et j’en suis une autre. Nos représentations mentales d’une même chose ne sont pas les mêmes, ce qui est vrai du reste en dehors du contexte du handicap mental.

 

Un autre obstacle est la subjectivité.

 

Je montre une pomme. Tu en veux ? Il ne répond pas. Cela ne signifie pas forcément qu’il n’en veut pas mais que je le dérange dans son activité. Il répond non. Peut-être n’en veut-il pas tout de suite mais plus tard ? Il tend la main et la prend. En fait, je suis peut-être allé au-devant d’un désir qu’il n’avait pas et il la prend pour me faire plaisir, parce que je l’ai soudainement tenté, parce que… Complexité de l’interprétation…

Qu’est-ce qui oblige la personne qu’on a la prétention d’éduquer de répondre à nos attentes ? Du reste, est-ce qu’éduquer quelqu’un, c’est le rendre capable de répondre à des attentes ou lui permettre de s’épanouir librement ?

Comme enseignante, je me suis souvent posée la question. En tant que personne assez rigoureuse et avide de transmettre cette qualité, car c’en est une, j’ai orienté mon enseignement dans ce sens. Et pourtant, j’ai toujours été attentive à ce petit détail qui me montrait que mon élève quittait la route bien tracée et balisée que je lui proposais pour se choisir un chemin personnel. Et cette déviation était parfois pour moi un sujet d’émerveillement quand l’élève me semblait avoir dépassé le maître et pris son envol ! L’élève avait trouvé la brèche qui lui permettait d’accéder à une autonomie de la pensée, même dans le cadre scolaire. Quand je donnais un sujet de dissertation, je m’attendais à ce que l’élève réponde à des attentes bien précises, fruits de mon enseignement des semaines précédentes et des méthodes que je lui avais enseignées. Et parfois, pas souvent il est vrai mais c’est arrivé, dès le début de la lecture du devoir, j’étais entraînée dans la pensée de l’élève qui m’embarquait dans une direction inattendue et suscitait en moi l’admiration. Ben ça alors, je n’y avais pas pensé ! Et c’est si bien écrit ! Et je me réjouissais d’avoir été dépassée par mon élève. Je dois reconnaître que tous les enseignants n’acceptent pas de bon cœur cette situation mais moi, je l’ai chaque fois goûtée avec beaucoup de bonheur. Autrement dit, est-ce que le principal obstacle ne serait-il pas l’arrière-pensée qui nous anime quand on désire faire communiquer notre enfant atteint du Syndrome d’Angelman, et ce, en toute bonne fois ! Du reste, les parents qui prennent des films ont observé que leur enfant n’était pas aussi performant à ce moment-là, sur commande, qu’à d’autres moments où spontanément ils s’expriment. Et ceci nous conduit à un autre aspect du langage.

 

La signification de l’expression : Ce n’est pas toujours pour communiquer qu’on s’exprime (par oral, par écrit, expressions du visage, gestes). Elle correspond parfois au simple besoin de « poser », clarifier sa pensée sans vouloir forcément la partager. J’ai compris que ce besoin pouvait aussi concerner nos enfants lors de l’épisode suivant : François possède un logiciel de communication que j’ai personnalisé. Il ne l’a qu’à la maison et je lui ai présenté les différents thèmes et ce qu’il peut en faire. Il est intéressé même si ça ne dure pas longtemps. Il était sur l’ordinateur, la tablette à côté de lui. Après son départ au foyer, je me suis aperçue qu’il s’en était servi. Il y avait raconté l’histoire de la blessure au coude qu’il s’était faite alors qu’il était en séjour adapté, telle qu’il l’avait vécue en lui-même. Ce récit n’était pas destiné à demander quelque chose dans l’immédiat, ni même à me raconter quelque chose puisqu’il ne me l’a pas montré. On peut dire qu’il l’a « écrit », tout comme on éprouve le besoin d’écrire comme ça, pour soi-même ! Et c’est une utilisation de la CAA à laquelle je n’aurais jamais pensé. Il y était question de « se moquer ». Que voulait-il dire par se moquer ? Est-ce que quelqu’un avait ri quand il était tombé ? Ou bien, autre explication : au retour des vacances, il se rendait sans cesse à l’infirmerie pour montrer son coude, ça faisait sourire tout le monde, y compris moi quand il me montrait son pansement à la maison. Ce qui m’a questionnée, c’est la conscience qu’il avait eu de la moquerie et que cette perception était suffisamment importante pour qu’il en fasse la remarque.  Cet exemple montre qu‘on peut, grâce à un logiciel comme celui-ci offrir un espace de liberté d’expression à nos enfants et, par ricochets, ceci nous aide à aller beaucoup loin dans notre accès à leur ressenti.

 

 

 

L’immédiateté de l’acte de communication est aussi un facteur qui intervient dans la difficulté de communiquer avec mon enfant Angelman. J’ai déjà parlé de la différence de temporalité entre les Angelman et les neurotypiques. Le temps que je comprenne, si toutefois j’ai bien compris, et il est déjà passé à autre chose. Il ne semble pas capable de revenir en arrière sur ce qu’il a exprimé : ça ne l’intéresse plus. Et si j’essaie de lui faire exprimer à nouveau sa demande ou sa remarque :« Je n’ai pas bien compris. Montre-moi ». Son regard qui devient fuyant me dit : « Trop tard maman. Je suis passé à autre chose… »

La liste des obstacles serait longue et je m’en tiens à ces quatre-là. Mais ceci explique le flou de nos investigations et la difficulté à en tirer des conclusions. Nos enfants ne sont pas des souris de laboratoire qu’on peut soumettre à des examens dans un lieu clos et mettre dans des conditions qui permettent l’observation, l’examen. La recherche sur le langage et la communication ne peut pas répondre aux mêmes critères que la recherche des sciences  de la nature ou de la recherche médicale : elle relève des sciences humaines et les méthodes d’investigation ne peuvent pas être calquées sur celles des sciences de la nature ou médicales, même si elles tendent à en épouser la rigueur. L’expérimentation n’y prend pas les mêmes formes et, comme on a à faire à des individus, il me semble que l’une des méthodes les plus efficaces est la monographie, plus que les enquêtes, qui sont faussées par la subjectivité de l’intermédiaire qui y répond (les parents le plus souvent) , ce qui rend inexacte par ricochets la valeur des statistiques. Quant aux videos qui apparaissent comme le moyen le plus objectif de montrer la parole ou la communication de nos enfants, elles se heurtent à un écueil majeur, celui de la difficulté de saisir l’instant. En voici un exemple :

 

François est aux Urgences. je lui ai apporté son iPad de communication. Il se met à vocaliser en mettant l’ipad devant sa bouche… L’accompagnante le fait cesser car il fait du bruit avec sa voix de stentor ! Il met l’iPad sur ses genoux et tapote fébrilement. On l’arrête aussitôt. Or, qu’a-t-il tapoté ? Il a recherché l’entrée santé et corps, puis douleur puis opération (il a été opéré d’un doigt deux jours avant ) et le mot sur lequel il insiste est : chirurgien.

Quelle belle vidéo tout cela aurait fait ! Oui mais la vie n’est pas un film ! Moyennant quoi, que m’apprend cet épisode ? Que François a compris que le logiciel de communication, c’est pour parler mais que parler, pour lui, c’est la parole d’abord ! Et que la parole passe par la voix. D’où les vocalisations. Qu’il a exprimé ensuite le désir de revoir le chirurgien. Que personne n’a compris qu’il voulait s’exprimer et qu’on lui a coupé la parole ! Évidemment, moi j’ai compris, avec quand même un léger décalage, car il faut l’entraînement de gymnaste de la communication de la mère pour saisir ce qui semble insaisissable…

Et si la CAA donnait un peu plus d’importance au langage oral ? Un article publié en Juillet 2018 et approuvé par le bureau de la Revue de l’hôpital des enfants de Boston.

Dans cet article une phrase peut nous interpeller : « La présence d’un langage syntaxique n’exclut pas un diagnostic de Syndrome d’Angelman ». Ce qui sous-entend que la possibilité de développer un langage syntaxique ne doit pas être exclut d’emblée quand on a posé le diagnostic du syndrome d’Angelman.

 

Pour parler, il faut savoir/pouvoir utiliser sa voix. Or quel est le fonctionnement de la voix ? Quatre systèmes la rendent possible :

– la production de l’air : la colonne d’air part des poumons aidée par le diaphragme et les muscles du thorax.

– la vibration des cordes vocales lors du passage de l’air

– la transformation de voix en sons avec la cavité buccale et ce qu’elle contient : palais langue, dents et lèvres

– les résonateurs : pharynx, larynx, bouche et fosses nasales.

 

 

Quand mon fils était petit on m’a dit qu’il n’avait pas les capacités cognitives nécessaires à la maîtrise du langage. L’avenir m’a démontré qu’il n’en était rien, que le problème se situait ailleurs. Les capacités cognitives il les avait, les organes phonateurs, il les avait… Mais il ne pouvait pas s’en servir.

La colonne d’air envoyée par les poumons est un acte volontaire et sa densité, sa vitesse, sa force dépendent de notre volonté. Quand on fait du chant, on apprend à réguler cette colonne. Des exercices sont possibles pour rééduquer la respiration que nos enfants utilisent si mal. Les parents apprennent à leur enfant à souffler la bougie d’anniversaire et quand il y arrive, quel pas de fait ! Apprendre aussi à se moucher, à utiliser sa langue, ses lèvres. Savoir embrasser sans lécher ou mordre etc… Tout cela se fait par une rééducation (non, éducation) des muscles que nos enfants ont tant de mal à bien utiliser. Pourquoi le phoniatre ou l’otorhinolaryngologiste n’aurait-il pas sa place dans la cohorte de spécialistes qui s’intéressent au syndrome d’Angelman ?

 

« Les enfants atteints du syndrome d’Angelman tardent généralement à atteindre les points de repère habituels de l’apprentissage des enfants en général – ils ne babillent pas tous lorsqu’ils sont bébés et il leur faut plus de temps pour former leurs premiers mots. Certains enfants atteints du syndrome d’Angelman sont non verbaux ou peuvent avoir de la difficulté à exprimer leurs pensées dans des phrases claires. La parole est contrôlée par la coordination des muscles de la gorge, de la langue et de la bouche par le cerveau ; cette coordination est difficile pour les patients atteints du syndrome d’Angelman. Les orthophonistes peuvent les aider avec des exercices pour renforcer les muscles et développer la coordination de la parole. Ils peuvent également les aider et aider leurs soignants à développer des stratégies de communication qui reposent moins sur la communication verbale. »

Emily Malcolm PhD (in angelmansyndromenews – septembre 2019)

Article d’origine : « Children with Angelman syndrome are usually delayed in meeting benchmarks for child learning — they may not babble as infants, and it may take longer for them to form their first words. Some children with Angelman syndrome may be nonverbal or may have difficulty expressing their thoughts in clear phrases. Speaking is controlled by the coordination of the muscles of the throat, tongue, and mouth by the brain; this coordination is something with which Angelman syndrome patients struggle.

Speech therapists can help Angelman syndrome patients with exercises to strengthen muscles and build coordination for speech. They can also help patients and their caregivers develop strategies for communication that rely less on verbal communication. »

 

Vaste sujet qui sera illustré sous peu par des vidéos …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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