Nous avons appris avec infiniment de tristesse le décès le 16 septembre du Docteur Élisabeth Zucman à l’âge de 89 ans.
Elle restera dans les mémoires comme la pionnière de la reconnaissance des Droits aux soins de la personne polyhandicapée.
En 1950, elle commence ses études de médecine, tournant le dos à une autre profession, antiquaire, où son héritage paternel aurait pu la mener.
En 1961, elle suit une spécialité nouvelle en France : la médecine de rééducation et réadaptation fonctionnelle. En 1964, son combat mène à une transformation fondamentale de la prise en charge : désormais, les soins sont donnés en fonction des besoins de la personne et non plus de sa dépendance. Elle devient la première présidente du CESAP (comité d’études et de soins aux arriérés profonds). Du CESAP aux SESSAD, puis au CTNERHI où elle travaille sur la mise en place des CDES (devenus depuis MDPH) ; elle poursuit sa mission avec opiniâtreté et efficacité. Elle finit sa carrière comme responsable d’établissements spécialisés mais continue, une fois retraitée, à aider à la création de nombreuses structures.
Je me rappelle avoir partagé un moment inoubliable avec elle autour d’un café en 2014 dans son appartement qui regorgeait d’antiquités dont elle m’avait parlé avec tant de fierté. Elle m’avait parlé également de l’ouvrage qui se préparait sous sa direction sur la fin de vie de ceux qui ne guériront jamais et qui est paru en 2016. Cette petite Grande Dame avait montré une humilité et une gentillesse qui m’avaient profondément touchée.
Ses publications ou contributions à des ouvrages ont été nombreuses et on ne saurait les citer toutes. Toujours, une pensée fine et pertinente sous-tendue par une écriture limpide mais aussi incisive les a inspirées. C’est avec émotion que je relis la préface du livre qu’Odile Piquerez et moi-même avons écrit sur les adultes atteints du syndrome d’Angelman :
« Le livre de Mesdames Anne Chateau et Odile Piquerez me semble très important à plus d’un titre pour tous ceux – parents et professionnels – qui accompagnent la vie de personnes « en situation de handicap », quelles qu’en soient la cause et la gravité ; cette œuvre, claire et précise, rassemble de multiples témoignages de parents de jeunes adultes atteints du syndrome d’Angelman (SA) ; et, ce faisant – en abordant tous les aspects de leur vie avec une attention proche, fine, bienveillante, et dénuée de tout a-priori ou jugement de valeur, les auteurs libèrent le SA du silence auquel sa rareté, sans doute, l’a condamné jusqu’à présent, y compris dans la littérature scientifique – à l’exception bien entendu de ce qui concerne son origine génétique …
Cependant, pour moi qui ai centré ma vie de médecin sur les soins et l’accompagnement des enfants et des adultes en situation de polyhandicap, j’ai été captivée par le fait que je retrouvais dans ce livre la plupart des observations, des questionnements et de nos ressources trop souvent limitées pour répondre à la complexité des besoins qui se révèlent à nos yeux dès qu’on partage de près, dans la durée et avec empathie, la vie de ces jeunes atteints d’un handicap psychique et intellectuel quelle qu’en soit la cause.
Que nous soyons parents, professionnels dans le domaine médico-social, ou citoyen intéressé par la variabilité de la condition humaine et par sa vulnérabilité, nous apprenons beaucoup dans ce livre, grâce à ces observations très fines et surtout animées d’un désir soutenu de bien comprendre la personne concernée ; nous y apprenons donc l’extraordinaire convergence des fragilités de l’humain d’une part : par exemple la gravité des troubles de l’attention, l’instabilité des troubles de l’humeur … et d’autre part nous y découvrons aussi les similitudes remarquables des ressources adaptatives développées par les personnes vulnérables, dans la mesure où elles sont comprises et soutenues par leur entourage.
Dans des pathologies diverses, il s’agit par exemple du développement compensatoire toujours possible d’une intelligence sensible ou émotionnelle, de leurs capacités d’attachement aux proches et de leur intense désir d’être aimé qui les amène souvent à de surprenantes « prouesses », déjouant de sombres pronostics.
Par ailleurs, ce livre nous montre bien – sans le commenter – le risque majeur du « scientisme » qui amène trop souvent les parents, les éducateurs ou les médecins à rattacher au diagnostic étiologique – ici le SA – les traits majeurs du comportement de la personne handicapée et qui nous pousse alors à adopter à son égard des réponses standardisées, liées à des hypothèses explicatives doctrinaires.
Ces processus uniformisant de la pensée contemporaine, joints à une recherche devenue banale, du « risque zéro » expliquent en partie la difficulté que parents et professionnels rencontrent souvent à la mise en œuvre de projets éducatifs ou de parcours de vie qui soient réellement individualisés …
Les craintes que j’exprime ici, donnent un sens supplémentaire au concept pourtant innovateur de « situation » de handicap en y incluant le poids de nos regards…
Je voudrais pour conclure ces quelques lignes remercier les auteurs de ce livre d’avoir osé le consacrer aux personnes adultes, auxquelles il est d’usage de consacrer beaucoup moins de travaux de réflexion qu’aux enfants porteurs d’un handicap quel qu’il soit. Contrairement à d’antiques « idées reçues », la dynamique de la vie psychique, les capacités d’adaptation à l’environnement proche, le désir d’aimer et d’être aimé ne s’émousse ni ne s’éteint à l’âge adulte, ni même avec le vieillissement, dont les auteurs ont parlé aussi avec beaucoup de pertinence dans ce livre riche de l’amour avec lequel il a été écrit. »
Élisabeth Zucman
Article rédigé par Anne Chateau – Septembre 2019