ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA DÉFICIENCE INTELLECTUELLE
JEUDI 11 et VENDREDI 12 janvier 2018
Paris, Maison de l’UNESCO
UN ÉVÉNEMENT FONDATEUR
1ère journée
Ces premiers États Généraux de la Déficience Intellectuelle ont été co-organisés avec les associations de personnes et leurs familles (Nous Aussi, Unapei, Alliance Maladies Rares, T21 France, collectif DI), les associations médico-sociales (Anecamsp, Fehap, Nexem) et soutenue par de nombreux partenaires.
Ils ont réuni plus de cinquante intervenants issus du monde médical, associatif, médico-social devant une salle remplie. Les interventions étaient de haute volée et les sujets abordés répondaient aux préoccupations de tous les acteurs du monde du handicap intellectuel, y compris les familles présentes dans l’assemblée.
Syndrome Angelman France y était représenté par Anne Chateau.
Première journée
L’ouverture de ces États Généraux a été faite par le Professeur Vincent Desportes, neuropédiatre, animateur de la Filière DéfiScience,
Muriel Poher, chargée de projets de la Filière DéfiScience,
Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des Personnes handicapées : « Notre cap, la société inclusive. Notre politique, vivre la vie la plus ordinaire possible. Les objectifs : traduire concrètement l’expertise de la Déficience intellectuelle, décloisonner sur le terrain, faire évoluer les pratiques. La démarche : la continuité des parcours, une réponse accompagnée pour tous, les modalités de financement devant être fondés sur les besoins et non sur les places comme ce l’est actuellement. »
Les intervenants dont il serait trop long de citer les noms se sont succédés. Les thèmes suivants ont été abordés :
Modernité du concept de déficience intellectuelle parmi les autres troubles du neuro-développement.
- Compétences et fragilités : les évaluer.
L’intervention de Gérald Bussy, neuropsychologue, a particulièrement retenu notre attention.
« La Déficience intellectuelle ce n’est pas qu’un déficit. C’est également la présence de pics de performance. Un enfant peut avoir dans certains domaines un niveau de performance supérieure à son âge mental. Un autre peut avoir dans certains domaines un niveau de performance supérieur à la norme. (performances non déficitaires). Ces pics de performances doivent être encouragés d’autant plus que l’on sait que des capacités cognitives efficientes permettent de retarder d’éventuelles démences dues au vieillissement. »
- Le Docteur caroline Demily, psychiatre, pose les cinq postulats de la Déficience Intellectuelle.
1- Les limitations du fonctionnement intellectuel prennent en compte l’environnement linguistique et culturel de la personne.
2- Une évaluation valide prend en compte les capacité et incapacités sensorimotrices, comportementales et de communication.
3- les limitations coexistent avec les forces.
4- La description des limitations est nécessaire pour déterminer les besoins de soutien requis.
5- Si la personne reçoit un soutien adéquat et personnalisé sur une période soutenue, son fonctionnement devrait s’améliorer.
Groupe d’études des tests d’évaluation :
Les tests psychométriques étudient les capacités de raisonnement
Le fonctionnement adaptatif n’y est pas étudié. Les limitations du fonctionnement adaptatif (dans au moins deux des secteurs d’aptitudes suivants : communication, autonomie, vie domestique, aptitudes sociales et interpersonnelles, mise à profit des ressources de l’environnement, responsabilité individuelle, utilisation des acquis scolaires, travail, loisir, santé et sécurité) devraient être évaluées. Elles ne sont pourtant presque jamais recherchées dans les évaluations psychologiques, ni renseignées dans les compte-rendus. Quelque soit le niveau de déficience le Vineland II étudie les compétences adaptatives et ce test peut être passé par tous les professionnels de santé (IDE, éducateurs, psychologues, neuropsychologue etc.)
Diagnostic génétique : Où en est-on ?
par le Docteur Delphine Héron, pédiatre, généticienne.
Il n’est nul besoin d’attendre le diagnostic pour intervenir. Et les diagnostics peuvent être pluriels. A quoi le diagnostic génétique sert-il en l’absence de traitement curatif ? A connaître la cause, à répondre aux questions, à nommer la maladie, à affiner le diagnostic etc. Actuellement, plus de 1000 causes génétiques de déficience intellectuelle ont été découvertes. Que fait-on devant un patient présentant une déficience intellectuelle ? D’abord, on fait une observation clinique.
Ensuite, une analyse cytogénétique à la recherche de l’X fragile (plus fréquent), puis on fait des tests spécifiques (gènes, chromosomes) avant de proposer le Séquençage Haut débit NGS (plusieurs gènes.) La technologie de séquençage de nouvelle génération NGS présente le risque de mettre en lumière des maladies ou prédispositions avec les risques qui en découlent, tant éthiques que psychologiques etc.
Prendre sa vie en main : comment est-ce possible ?
Lahcen Er Rajaoui, président de l’association Nous Aussi, première association de personnes handicapées intellectuelles dirigées par les personnes concernées, intervient sur le désir d’autonomie et de prise en main par elles-mêmes des personnes avec handicap intellectuel et interroge sur l’accompagnement qui est nécessaire pour développer les compétences nécessaires.
Repérer et orienter le diagnostic pour intervenir le plus vite possible.
Chaque sujet a donné lieu à un échange avec les participants.
Fin de la première journée.
2ème journée
Matinée
Cette deuxième journée s’est ouverte sur un sujet particulièrement sensible et essentiel pour les personnes déficientes intellectuelles : celui de l’accès aux soins. Le deuxième thème de la matinée, tout autant essentiel, a été l’accès aux apprentissages.
I – S’occuper de sa santé et se soigner :
Faire connaître les constats et enjeux de l’accès à la santé et aux soins, du côté des professionnels et des personnes elles-mêmes. Présenter de nouveaux dispositifs pluridisciplinaires et coordonnées facilitant l’accès aux soins somatiques
L’intervention du Pr Vincent Desportes met l’accent sur le paradoxe suivant : plus il existe de problèmes de santé, plus l’accès aux soins est difficile.
De plus, les personnes handicapées intellectuelles sont particulièrement vulnérables aux Urgences.
Pourquoi ?
C’est d’abord l’environnement qui fait obstacle : les professionnels n’ont ni le temps, ni la formation. Quant aux structures, elles sont inadaptées : mauvaise accessibilité des locaux, de l’information, absence d’organisation et de coordination.
À ceci s’ajoutent les facteurs individuels : déficiences dans les capacités de communication, de compréhension, d’expression, en particulier expression de la douleur, troubles du comportement, crainte des soins médicaux, mobilité réduite (polyhandicap), précarité socio-économique.
Et pourtant, des facilitateurs ont fait leurs preuves. Quelques exemples :
– Un bilan de santé systématique existe au Royaume Uni depuis 2006 et en Australie depuis 2007. En France, ce bilan est simplement « recommandé » et ce, depuis 2018. Ces bilans ne peuvent se généraliser que par une politique volontariste !
– La formation des personnels de santé. Un guide de bonnes pratiques existe en Australie depuis 2006.
– La coordination des parcours de santé. Le Royaume Uni est un pays pionnier dans ce domaine.
– Les centres de ressources Déficiences Intellectuelles : en place en Angleterre et au Canada. En France, en 10 ans, 10 rapports sur le sujet.
En 2018, on peut dire : l’action, c’est maintenant !
Témoignage d’un médecin généraliste – Dr Franck Desmaret :
Dans ma formation initiale puis continue, une seule demi-journée sur la Trisomie 21. Ceci m’a obligé à créer un réseau de personnes spécialistes pour m’aider.
Ce qui marche :
Quelques intervenants ont présenté des expériences qui fonctionnent :
Handisanté (Dr Pierre Lagier)
propose un parcours de santé sans ruptures, optimise les organisations et fait l’analyse de ses pratiques.
Le Dr Lagier conclut en disant que cette organisation n’est pas pérenne car il n’y a pas de financement futur de prévu à cette heure.
Clinique de Bonneveine à Marseille : Fabrice Julien, le Directeur, présente la création d’un hôpital de jour pour personnes en situation de handicap avec une équipe dédiée qui s’adapte aux situations difficiles, comme celle d’un jeune homme qui ne voulait pas sortir de la voiture et a été ausculté dans la voiture même ! La prise en charge se fait en collaboration avec les services médico-sociaux.
Dispositif SASHA dans le Haut-Rhin, présenté par Daniel Débold.
Favoriser l’accès aux soins somatiques.
Intervention du Dr Dominique Fiart (Niort) : un an d’existence pour ce centre Handisanté. L’accent est mis sur les personnes qui ne peuvent pas de s’exprimer ni même avoir de troubles graves de comportement. La personne qui a une déficience intellectuelle doit être soignée au-delà des troubles dus uniquement à son handicap, comme tout un chacun.
Il s’agit de prendre en compte l’inconfort somatique, faire les bilans ordinaires, créer la médecine somatique du handicap.
En cours de réalisation, la création d’un centre pour la transition enfant/adulte chez les jeunes avec encéphalopathies épileptiques, par le Pr Rima Nabbout.
Au cours de la discussion avec la salle, le Dr Élisabeth Zucman intervient : « on réduit les moyens financiers pour les soins des adultes depuis plus de vingt ans. Cette inégalité est insupportable pour les patients comme pour les professionnels… ».
II – Relever le défi des apprentissages,
avec une déficience intellectuelle légère ou profonde, à l’école et ailleurs, dès l’enfance et tout au long de la vie.
Quatre intervenants : Esther Atlan qui présente un projet de recherche sur la scolarisation d’enfants en situation de polyhandicap) Caroline Perraud, doctorantes, le Pr Yannick Courtois, le Pr Jean-Louis Paour, professeurs de psychologie.
L’éducation Nationale brille par son absence, à la tribune comme dans la salle, comme le souligne Régine Scellès, à la fin de la journée.
Pr Yannick Courtois :
La personne avec déficience intellectuelle apprend à tous les âges de la vie, dans tous les contextes (famille, école, milieu spécialisé, travail, loisirs, etc.) Le premier lieu étant, bien sûr, la famille. Le problème principal est la coordination de tous ces contextes.
Les particularités d’apprentissage tiennent d’abord à la personne (approche individuelle) : ses forces, ses limitations, et son besoin important d’apprentissage médiatisé et structuré. Ses activités sont parfois désorganisées et la personne a besoin d’aide pour apprendre seule. Les particularités d’apprentissage tiennent aussi à l’environnement (approche sociale du problème). Il convient de cerner les obstacles et de trouver les facilitateurs. On ressent un besoin important d’innovation sociale dans ce domaine.
Quelques points importants tirés de l’expertise de l’INSERM :
– le langage
– l’autorégulation qui mène à l’autodétermination (rendre la personne active dans son apprentissage)
– les principes de littéracie et de numératie.
En conclusion, il ne faut pas sous-estimer la capacité à progresser des personnes avec déficience intellectuelle.
Pr Jean-Louis Paour :
1- Il convient d’exploiter les réserves développementales qui relèvent de l’expérience propre de la personne déficiente intellectuelle.
2- Distinguer les deux pédagogies complémentaires : celle de la réussite et celle de la compréhension.
La matinée se clôt sur la présentation par (président de l’association Lucioles) du film Artisans du quotidien, une production du Réseau Lucioles.
2ème journée
Après-midi
Dernier thème abordé et pas des moindres, celui qui concerne ce qu’on appelle maintenant les « comportements-défis ».
Comprendre, prévenir et accompagner les troubles du comportement – Pr Jean-Jacques Detraux :
Définition :
Il s’agit de comportements inadaptés, perturbateurs qui sont depuis une trentaine d’années envisagés comme des comportements-défis (challenging behaviour) car posant question à l’organisation des services ou au système familial.
Ils regroupent les comportements agressifs (physiques et verbaux), stéréotypés, auto-mutilatoires.
Ces comportements ne disparaissent pas avec un simple changement de milieu.
Il convient de différencier et de ne pas assimiler comportement défi (qui résulte d’une interaction individu/environnement) à des troubles psychiatriques.
Quel est leur impact ? Ils induisent un rejet social élevé et un épuisement tant chez les parents que chez les professionnels. Peu de recherches empiriques ont été menées sur la question.
Comment les évaluer ? Ils requièrent une approche multidimensionnelle : médicale, environnementale car de nombreux facteurs sont présents et interagissent (douleur physique, absence de moyens de communication, facteurs environnementaux peu stimulants etc.). Pas de cause unique et isolée !
Comment intervenir ?
L’approche la plus prometteuse semble être une analyse comportementale combinée à la mise en place d’apprentissages ciblés sur des compétences. Des approches utilisant des environnements multi-sensoriels comme le snoezelen se sont montrées efficientes sous certaines conditions.
Quelques principes d’intervention :
– réaliser une intervention dans le contexte-même où interviennent les crises.
– agir tôt dans le développement afin de prévenir ces comportements-défis : dynamique particulière dans l’époque charnière entre 5 et 18 ans
– les techniques utilisant une rétention ne sont à utiliser qu’en extrême recours et de manière temporaire.
La création d’unités pluridisciplinaires d’évaluation et de traitement des situations de crise ou de comportement-défi, en collaboration avec le secteur médico-social et les familles, reliées par des équipes mobiles de prévention et d’évaluation des situations de crise, serait souhaitable pour une meilleure gestion des ces situations délicates.
– Les troubles du comportement dans le Syndrome de Prader-Willi ont été abordés par plusieurs intervenants.
– La déléguée départementale de Seine-et-Marne ARS 77 précise la position de l’ARS concernant la question des troubles du comportement : comment une délégation en vient à prendre connaissance d’un trouble du comportement, quels sont les principes promus par l’ARS auprès de l’ensemble des acteurs en charge de l’accompagnement médico-social, comment ces principes sont mis en œuvre.
Une conclusion diversement appréciée par l’assemblée…
Quelques expressions ou phrases retenues :
« Nécessité de sensibiliser les citoyens au handicap intellectuel »
« accompagnement psychosocial de la personne «
« il faut une politique nationale affirmée… »
« une société ne peut pas être inclusive si elle ne connaît pas les enfants avec handicap »
»inclusion ne signifie pas moins de moyens et d’accompagnement »
« mais où est l’Éducation Nationale ? » « On attendait de Mme Cuzel de bonnes nouvelles : on n’en a pas vraiment eu »
« on a besoin de pédopsychiatre. Or, c’est une discipline sinistrée ».
Syndrome Angelman France – 20 février 2018
Le site DéfiScience
http://www.defiscience.fr/actualites/etats-generaux-de-la-deficience-intellectuelle/