Importance de l’imitation
Imitation et communication
Lors du colloque « Autisme et nouvelles technologies » du 16 mars 2015, une intervention a particulièrement retenu notre attention car, même si elle concernait les autistes, elle nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement de nos enfants Angelman et d’aider les parents à mieux comprendre celui-ci.
Il s’agit de l’intervention du Docteur Jacqueline Nadel, directeur de recherche au CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Hôpital de la Pitié-Salpétrière.
La communication est une production à deux. Pour qu’il y ait communication, il faut qu’il y ait une initiation de quelque chose vers quelqu’un, que la personne réponde et qu’il y ait retour.
Dans l’intéraction, il faut qu’il y ait un effet sur chacun des partenaires.
De ce point de vue, l’imitation peut aider. Mais il faut déjà savoir ce qu’on entend par imitation.
Qu’est-ce qu’imiter ?
– imiter QUAND ?
+ l’imitation directe synchrone (tout de suite en présence de la personne. On est dans l’intéraction)
+ l’imitation directe décalée ( qui n’engendre pas la communication mais la mémoire de travail)
+ l’imitation différée, à long terme. Pas de réaction sociale. Le modèle n’est plus présent. On est dans un autre schéma qui demande de la mémoire mais aussi d’autres aspects comme transformer ce qu’on a vu en un répertoire moteur.
– imiter QUOI ?
+ actions simples : familières ou nouvelles (deux cas de figures différents)
+ actions complexes qui demandent de répertorier différentes séquences d’une action, donc être capable de planifier.
– imiter COMMENT ?
+ spontanément (la personne est sélective et trie dans son propre répertoire)
+ sur demande (ne va pas forcément exercer à l’imitation spontanée car la personne attend ce qu’on va lui demander d’imiter et n’utilisera pas forcément son propre répertoire ensuite dans les situations sociales).
Des recherches en euro-imagerie ont effectué des comparaisons de cerveaux qui sont en train d’imiter sur demande ou spontanément au cours d’une interaction, Il en a résulté beaucoup de similitudes mais, dans le deuxième cas, un petit coin très intéressant a été sollicité, le cortex préfontal dorso-latéral médian (endroit ou se activation dans le cas de communication de compréhension de l’autre, d’intéraction avec l’autre).
Quel est l’intérêt de l’imitation ?
L’imitation s’enrichit quand on l’utilise. Elle est flexible. Elle va vers l’autre et provoque des réactions chez l’autre. Elle permet de faire la même chose en même temps.
Elle permet d’enrichir le répertoire moteur, de former des associations entre perception et action, de réaliser des apprentissages.
Grâce à l’imitation, on a trois composantes essentielles de la communication : la synchronie, le tour de rôle et le partage de thème.
Précisions
L’imitation est objet de controverse. L’étude de l’imitation se fait généralement sur la base d’une procédure du type : fais comme moi. qui rend impossible la fonction de communication et prive l’imitation d’une partie importante de son sens puisqu’elle n’est plus à volonté et oblitère la reconnaissance d’être imité. Les actions modèles sont souvent sans signification car elles ne tiennent pas compte des différentes situations d’imitation et des problèmes de motricité.
Il est nécessaire de reconnaître le répertoire moteur de l’enfant (autiste) pour le faire progresser. Il n’a pas forcément le même répertoire que nous. Or, on ne peut reproduire qu’à l’aide des éléments du répertoire qu’on possède soi-même, pour recomposer du neuf à partir d’éléments qu’on a déjà.
L’enfant a des intérêts différents. Il s’agit donc de lui proposer des choses qui l’intéressent.
Quand on lui dit : « fais comme moi » , on lui demande deux choses en même temps. Il lui faut d’abord imiter et, en même temps, oublier ce qui l’intéresse pour faire ce qu’on lui demande de faire (ce qui demande beaucoup la participation du cortex frontal et des fonctions exécutives du cerveau qui régulent les éléments de contrôle de l’activité et de motivation pour réaliser un but, donc inhiber ce qu’on a envie de faire, ses propres vues en faveur de la demande).
Comment évaluer l’imitation spontanée ? deux niveaux
– reconnaître être imité
– imiter : fais comme moi.
L’imitation et l’attention conjointe
Le corollaire de l’imitation, c’est l’attention conjointe.
L’imitation nécessite l’existence de l’attention conjointe.
deux étapes dans l’attention conjointe :
– regarder où l’autre regarde, faire regarder quelqu’un où soi-même on regarde
– non seulement regarder où mais ce que l’autre regarde, ce qui implique que regarder suppose une cible et que suivre la ligne du regard permet de trouver la cible du regard.
Quand deux personnes se rencontrent sur une cible, elles échangent à propos de quelque chose.
L’attention conjointe est considérée comme :
– le premier indice d’une capacité à comprendre un état mental, ici l’intérêt
– s’intéresser à l’intérêt de l’autre
– piloter l’intérêt de l’autre en pilotant son regard.
L’imitation inclut l’attention conjointe.
L’attention conjointe peut être passive ou active et permet le partage d’un thème.
Partage d’une expérience
Un enfant fait des gestes avec une pelle bleue. Il est à côté de la porte, la main sur la poignée. Le Docteur Nadel, qu’il ne connaît pas, se tient à côté de lui, une pelle bleue aussi à la main. Elle imite tous les gestes de l’enfant. Il finit par se rendre compte qu’il est imité et vérifie que ce n’est pas le hasard. Il lâche la poignée de la porte et finit par aller embrasser le docteur. Cette communication fait émerger de l’émotion positive. Être imité agit sur l’insula (cortex insulaire) comme une bouffée d’ocytonine (hormone maternelle de l’attachement, entre autres).
Qu’en est-il dans le syndrome d’Angelman ?
Sur notre groupe Facebook, on a lancé une petite expérience : imiter tous les gestes que fait son enfant et observer ses réactions. Voici ce que ça a donné.
Les plus petits
Ryan (18mois) n’aime pas vraiment que je l’imite. Je l’ai fait pendant qu’il prenait son biberon de lait du matin alors qu’il il le secouait et en renversait la moitié dans son lit. Il s’est arrêté et a observé que je faisais pareil. Puis il a donné des coups de pieds dans les barreaux de son berceau et j ai fait de même. Ça a eu l’air de l’agacer et il a arrêté de le faire.
Mael (4 ans) éclate de rire puis il s’arrête pour voir si je continue… Ça l’amuse beaucoup! Parfois je fais ça quand il est en mode « vilain bougre qui veut rien entendre » parce que ca le fait rire et du coup ça détourne son attention de vilain bougre.
Les enfants et préados
Corentin est d’abord étonné, puis pensant que c’est un jeu, il fait un geste, me regarde, rigole et fait autre chose.
Puis il recommence, encore étonné, et puis il pense toujours qu’ on joue et recommence et finit par s’en aller .
Camille (10 ans) rigole, s’arrête, fait un autre geste,
me regarde puis rigole encore, se désintéresse un peu
mais revient me regarder et je continue alors elle rigole.
Ariane (11 ans) trouve ça drôle chaque fois.
Je fais tous ses gestes et ça l’encourage à continuer.
Max rit beaucoup quand je l’imite
et ça fonctionne aussi avec son papa.
Les adultes
Preuve est faite qu’à cet âge-là ils savent particulièrement ce qu’est l’imitation même si leurs gestes restent maladroits parfois. Certains imitent même des sons.
Je le fais déjà pour certains gestes » typiques » et le plus souvent Virgile (17 ans) en remet une couche comme pour dire » Tu as compris, c’est cool » .
Il accentue aussi avec un ou plusieurs sons, comme pour développer une conversation
Virgile
Nicolas (33 ans): Il est mort de rire et me montre que je suis folle. Il a de suite compris que je l’imitais. Souvent, il nous imite et refait tous les bruits. Il imite aussi quelqu’un qui fume etc. Et il imite toutes les bêtises qu’il voit faire avec grand plaisir.
Thomas
Je me suis bien amusée avec Thomas (23 ans), en imitant ses gestes, que Thomas a improvisés : taper des coudes sur la table, faire toc toc un coup de la main gauche, un coup de la main droite, lever les bras au ciel, faire claquer sa langue, et le tout accompagné d’éclats de rire. De plus, ce matin avant son départ pour le centre, il m’a fait comprendre qu’il souhaitait reprendre la séance, et il a repris les gestes de la veille, accompagnés de bruitages. En arrivant au centre, il a fait une démonstration devant les éducatrices qui ont été agréablement surprises.
Nicolas et François en train de mimer la chanson : « le lapin » de Chantal Goya :
Nicolas est le chasseur : pan
et François le lapin avec les grandes oreilles.
Et pour finir, le clou !
La vidéo de Nicolas (37 ans) et son papa Charles, en pleine séance d’imitation
Anne Chateau - op - mars 2015
La confrontation entre les perspectives ouvertes par la communication du Docteur Navel et l’observation des enfants, jeunes et adultes Angelman permet de mieux comprendre certaines attitudes, y compris certains refus trop vite assimilés à une impossibilité d’imiter. C’est un exemple stimulant du fait que la recherche et la réflexion sur la recherche permettent vraiment d’améliorer la communication avec les personnes atteintes du syndrome d’Angelman.
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