« Il y a deux ans, François a traversé une période hivernale difficile . Après une maladie avec forte fièvre mal supportée psychologiquement par lui, il est apparu déprimé. Les sourcils froncés, l’œil noir, il passait ses journées dans sa chambre refusant de sortir et me repoussant quand je tentais de comprendre. Une impression d’impuissance me gagnait : je n’étais plus pour lui la « maman-providence » qui pouvait trouver des solutions à tout et le combler dans sa nouvelle vie d’adulte. A cela s’est ajouté un profond ennui au CAJ où trop peu d’activités lui étaient proposées et où des problèmes de violence n’étaient pas vraiment gérés par l’équipe, violences dont François entre autres avait été parfois victime. Chaque matin, le départ était plus difficile. Peu à peu l’idée s’est imposée à moi dans mon désarroi qu’il fallait un changement et surtout, que l’étape suivante serait l’internat. Il fallait lui proposer une vie plus conforme aux aspirations d’un jeune et préparer l’inévitable séparation en douceur, sur un choix et non en catastrophe par nécessité.
La recherche d’établissements : Repérer des établissements fut assez facile grâce à internet, aux contacts avec les associations spécialisées dont je fais partie, une visite au centre de ressources Multihandicaps dans le 14ème arrondissement de Paris et aux conversations avec les amis concernés aussi par le handicap François avait la notification Foyer de vie ; j’ai pensé qu’en raison de la réduction de ses capacités à la marche et de son autonomie insuffisante, il serait plus sage d’obtenir en plus la notification Foyer d’Accueil Médicalisé. Les foyers de vie, à Paris, accueille des jeunes qui se déplacent sans problèmes dans la ville et les transports en commun et disposent de moins de personnel par résidents que les FAM, sans compter la prise en charge des problèmes de santé moins importante. Je suis allée à la MDPH et j’ai téléphoné aux établissements qui m’ont envoyé des dossiers à remplir. On était en février et je pensais que, compte tenu des échos que j’avais des difficultés de trouver des places en foyer, cela mettrait quatre ou cinq ans à aboutir ! Cela me laissait le temps de LE préparer, de ME préparer. Je savais aussi qu’en cas de coup dur, une solution se trouverait plus facilement si les démarches dans des établissements étaient déjà en cours et c’était rassurant.
Les rendez-vous :
Au mois de juin, en une semaine, à ma grande surprise, sont arrivées deux propositions: un foyer de vie et un FAM pour autistes. Le rendez-vous au foyer de vie a eu lieu dans les jours suivants et François n’a pas été pris : ils étaient deux pour une place mais ce n’était que partie remise, m’a-t-on dit. Il m’a fallu en revanche insister beaucoup pour que les démarches se mettent en route au FAM et trois semaines d’attente et d ‘énervement pour moi ont abouti à un rendez-vous. Une semaine plus tard, deux membres du foyer sont venus à la maison voir le cadre de vie de François. Pourquoi ce choix de ma part d’un FAM pour autistes alors que François était bien communicant quoique sans langage ? Je m’étais laissé dire par des parents d’adultes avec SA lors de la formation adultes de l’AFSA en janvier 2011 et d’autres contacts que les établissements pour autistes offraient des moyens adaptés aux jeunes avec SA : communication alternative (François utilise pictogrammes, photos et signes) et gestion plus réfléchie des troubles du comportement, grâce notamment à l’action et la réflexion des associations pour autistes Bien sûr, le problème de manque de communication avec ses futurs co-résidents me tracassaient et sont, de fait, réels car certains, surtout dans son unité de vie, ne communiquent pas. Mais quelques jeunes filles d’autres unités ont l’air conquises par François, ce qu’il accueille d’un air dédaigneux mais avec un petit sourire en coin qui montre qu’il est flatté par les compliments de ces dames !
Le stage et la décision :
Au mois de juillet, il fait dans ce FAM une semaine de stage, uniquement dans la journée, qui se passe bien et nous partons en vacances avec beaucoup d’interrogations car les membres du personnel qui ont fait l’admission sont, soit partis définitivement, soit en congés de maladie et la direction a changé deux fois ! C’est dans une aire d’autoroute entre bruits de moteur et brouhaha que je suis jointe sur mon portable par la responsable de l’hébergement : François est censé commencé le 29 août alors que l’unité de vie qu’il doit intégrer n’est pas celle qui était prévue au départ, ni celle que j’avais visitée et je n’ai aucun papier officiel attestant de son admission : le grand flou !
On me confirme le 26 juillet que c’est bon. Sur mon agenda, je note : aujourd’hui, confirmation que François rentre le 29 au foyer et j’ajoute : « Mon Dieu, qu’ai-je fait ? ». Il part ensuite trois semaines en séjour adapté (c’était prévu bien avant) et moi, je pars de mon côté. Bonnes vacances pour lui (mais ça, je ne le sais qu’à son retour) et mauvaises vacances pour moi, gâchées par l ‘angoisse et les doutes. Autour de moi, on me dit que c’est toujours difficile quand l’oiseau s’en va du nid à l’âge adulte, même s’il n’est pas handicapé. Et, non, ce n’est pas la même chose : l’enfant non handicapé le fait en connaissance de cause et c’est SA décision alors que là, c’est MA décision. Lui, qu en pense-t-il ? A-t-il compris mes nombreuses explications ? Et toute la préparation que j’ai faite : passer devant les foyers, lui expliquer que, un jour peut-être… comme tous les autres qui quittent adultes le foyer familial etc… ; tout cela, son absence de langage m’empêche à ce moment-là de savoir ce qu’il en a pensé, si même il en a pensé quelque chose ! Qui me dit qu’il ne croit pas que je l’abandonne ? Horrible pensée ! Et pourtant, un élément important me rassure un peu: dès qu’il a été question de foyer, François a retrouvé le sourire et la joie de vivre ! Mais, que s’est-il imaginé ? C’est tout de même l’inconnu !
La préparation :
Je n’ai qu’une hâte : entrer dans le vif du sujet. Je rentre avant lui et me rends au foyer avec ses vêtements, ses affaires de toilette, une télé, un lecteur DVD, pour installer sa chambre :. Pour l’ordinateur, c’est plus compliqué et on verra çà plus tard, me dis-je , mais ça m’inquiète parce que c’est son occupation préférée et que je veux que toutes les chances de bonne adaptation soient réunies.. Je fais faire un grand poster avec de multiples photos des gens qu’il aime et j’en décore le mur de sa chambre. Il est décidé qu’il viendra visiter et finir d aménager sa chambre le 29 août et entrera le 31 pour passer trois nuits avant le week-end où je le reprendrai. Il revient radieux de son séjour de vacances le 25, et le 29, avec son oncle et un carton rempli d’une bibliothèque IKEA à monter, nous nous rendons au foyer. François reste dans la voiture, refusant obstinément de sortir. Mon frère et moi, montons son meuble dans sa chambre comme si de rien n’était, du moins en apparence. Je suis ravagée par l’angoisse. Et s’il ne veut pas venir voir sa chambre ? S’il refuse obstinément de rentrer au foyer ? Finalement, au bout d’une demi-heure, je vais le chercher et il vient. Ouf ! Mon frère lui apprend à mettre en marche télé et lecteur DVD.
L’adaptation :
Deux jours plus tard, c’est avec ma sœur, un fauteuil IKEA à monter, de nouveaux puzzles et de nouveaux DVD.que je l’amène. Nous le laissons : il a un regard de chien battu qui me crève le cœur mais nous laisse repartir, résigné. Le samedi matin, dès qu’il me voit, il accourt et me serre un très long moment dans ses bras, dans une étreinte pleine d’émotion. Pendant le week-end, il est présent et communicant comme jamais ! Le départ, le lundi matin, se fait sans difficultés (avec un nouveau DVD !). Quand je le reprends le vendredi soir, on me dit que la semaine a été très bonne, qu’il a été très participant et souriant, qu’ils sont étonnés de la façon dont il s’est adapté. En revanche, il dort très peu la nuit ! Le mois de septembre passe. François fait son trou au foyer : on me dit qu’il mène sa petite vie indépendante, fermant la porte de sa chambre pour être tranquille, se changeant tout seul quand il est sale. Les éducateurs lui ont concocté un emploi du temps sur mesure : initiation aux actes de la vie quotidienne, perfectionnement scolaire ou pré-scolaire, modelage, cinéma, pâtisserie, sortie en ville au café, psychomotricité, sports variés et vélo (car le centre est au milieu d’un grand parc avec un petit circuit vélo !).
Un an plus tard, le bilan est toujours positif et j’espère que cela va durer.
Je ne suis pas naïve et je sais que des problèmes surgiront nécessairement Cependant, je suis certaine maintenant qu’il a parfaitement compris la situation dès le début et surtout que le choix était bon pour les deux : c’était le moment. Ce moment vient à des âges différents suivant les situations et les caractères Ce qui est certain, c’est que le pas a été franchi et que je ne le regrette pas, même si l’idée d’abandon et la culpabilité affleurent de temps en temps Sa bonne adaptation me rassure, de même que l’existence d’une réelle communication avec les éducateurs, communication orale, par cahier de liaison et par une réunion de parents aussi, malgré les problèmes de personnel de l’établissement (recherche de personnel manquant et turn-over incessant comme partout ! Un bilan psychologique et psychomoteur très approfondi et précis a été fait sur lui par le foyer : c’est formidable, j’y retrouve mon fils et ce bilan, qui met en avant le positif et ses potentialités, débouche sur des objectifs pédagogiques : son emploi du temps est redéfini en fonction des objectifs à atteindre. Je sais ce qu’il fait et ce qu’il vit, et c’est primordial pour moi. Il a fait de gros progrès en autonomie, s’intéresse maintenant davantage par exemple à sa toilette : se couper les ongles ou essayer de se raser tout seul. Il est beaucoup plus calme et prend des initiatives pour aider à la bonne marche de la maison : rangement du lave-vaisselle, des couverts etc.. J’essaie de me concentrer sur l’essentiel : son bonheur et d’évacuer de ma pensée tous les petits détails qui me dérangent, toutes ces petites attentions que seule une maman porte au confort de son enfant. Comme me disait une amie, maman d’une jeune fille handicapée : mettre son enfant en foyer, c’est faire le deuil de l’enfant « clean » Tant pis, s’il porte son pull-over à l’envers ! Au fond, c’est moi que cela dérange, pas lui ! Un renoncement quand même pour moi…Et toujours quand même des interrogations : que fait-il le soir ? Et pendant les week-ends ? Ne s’ennuie-t-il pas un peu ? Maintenant, c’est à moi de combler le vide, de commencer ma nouvelle vie et d’oser la vivre. De toutes façons, je suis toujours sa mère et plus que jamais, il est mon fils adoré ! »
Témoignage de Anne Château – La maman de François (2013)
Bonjour,
J’ai trouvé votre témoignage très touchant Anne et très attendrissant, il m’en a donné la larme à l’oeil. Je comprends tout à fait ce que vous avez pû ressentir à l’idéee de placer François en internat et vos intérrogations car moi même j’envisage l’internat alors que Sidi n’a pas du tout le même âge que François cependant pour différentes raisons je pense que cela peut être une bonne solution pour lui comme pour moi enfin je l’espère. Mais tout comme vous j’essaye de m’y préparer et je me dis que le temps qu’il obtienne une place j’aurais le temps de m’y préparer et de le préparer ainsi que le petit frère pour qui çà risque aussi d’être dur. Cependant j’essaye de me réconforter avec l’idée que Sidi est déjà habitué à être accueillie en accueil temporaire où il va pour un weekend voir une semaine.
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